Dans le Sud,la guerre des droites

Une pancarte « locaux à louer » a remplacé les panneaux aux couleurs des Républicains (LR). Rue Sainte-Cécile, à Marseille, plus rien n’indique que cette maison de ville anonyme était depuis 1985 le lieu de rendez vous des soirées électorales de la droite locale. Le siège historique a baissé le rideau au lendemain des municipales perdues de 2020. Il est à l’image de la fédération LR des Bouches-du-Rhône – à l’abandon et de la droite dans la Région Paca : à la recherche d’un nouveau propriétaire.

« Marseille, c’est un trou noir, soupire le député LR du Vaucluse Julien Aubert. Toute la fédé s’est volatilisée. » Il y a deux ans, la droite y était encore toute-puissante : la ville était aux mains de Jean-Claude Gaudin; le département, de Martine Vassal; et la Région, de Renaud Muselier.
Depuis, Gaudin s’est retiré, et les deux dirigeants de la fédération, Muselier et Vassal, ont basculé dans le camp d’Emmanuel Macron.
« Il n’y a plus de permanence, plus de réunions, plus de militants », résumé Bruno Gilles, ex-patron LR des Bouches-du-Rhône, désormais à la tête du mouvement d’Edouard Philippe, Horizons, à Marseille. En
catastrophe, le sénateur LR Stéphane Le Rudulier a été dépêché en mars par le président du parti, Christian Jacob, pour sauver les meubles. Le 21 mars, il réunissait 400 militants et élus marseillais au Florida Palace. Bruno Gilles se gausse : « On avait l’habitude d’y réunir tous les cadres du département,
eux, ils peuvent y mettre tous leurs militants ! »
La fédération voisine des Alpes – Maritimes connaît un sort plus enviable avec 10 000 adhérents revendiqués grince un proche du maire (ex- LR) de Nice, Christian Estrosi.
Allusion au chien adhérent des Républicains rendu récemment célèbre par une enquête de Libération…
Sur les terres du député Eric Ciotti, finaliste du congrès LR, la droite tient encore six sieges de députés sur neuf. Mais, signe qui ne trompe pas, Valérie Pécresse n’a organisé aucun meeting à Nice, qui est pourtant un passage obligé de tous les candidats de droite à la présidentielle.

Pour autant, la réunion de soutien à Emmanuel Macron organisée par Christian Estrosi dans sa ville le 23 mars, en présence de l’ex-Premier ministre Edouard Philippe, du chef des députés LEEM, Christophe Castaner, et des ministres Olivier Véran et Roselyne Bachelot, a aussi fait un flop : elle n’a attiré qu’un millier de Niçois. ” Pour le militant de droite, voir à la meme tribune son maire et Castaner, qui a été le pire ministre de L’Intérieur de la V: République, ça passe assez mal», lâche Eric Ciotti.
Bastion des Républicains, la Région avait déjà été décimée par la vague En marche en 2017. Depuis, Emmanuel Macron a minutieusement préparé ici la saison 2 du dynamitage de la droite, A force de séduction ou de promesses de financement, il s’est attiré les faveurs des hommes forts de la Région : Christian Estrosi, d’abord ; puis le maire de Toulon, Hubert Falco, en 2020; et enfin le président de la Région, Renaud Muselier, lors des régionales de 2021. « C’est Macron qui nous a apporté le plus de considération…et le plus de pognon », résume crument un élu marseillais, « Tout ça a été orchestré par l’Elysée sur fond de promesses de maroquins », accuse un élu LR. Le «sectarisme» de LR, selon les mots de Muselier, a achevé la bascule, Macron peut désormais compter sur les trois « rois de ta Côte », comme Muselier a baptise le trio qu’il constitue avec Estrosi et Falco. Derrière eux, plus de 250 élus de Paca ont apporté leur soutien au chef de l’État dans une tribune rendue publique le 2 mars.
Les stratèges macronistes tablent sur le choc de l’élimination annoncée de Valérie Pécresse à la présidentielle pour finir le travail aux législatives. •< Ça va être la bérézina pour LR », promet Muselier. Cible privilégiée: les Bouches-du Rhône, LR y compte encore cinq députés sur quinze, mais trois ne se représentent pas. «Le transfert des mecs de LR vers LREM va créer un bordel sans nom », prédit un députe LR. Car si les étiquettes changent, les amitiés restent. Ainsi, l’ex- numéro deux de la fédération, Martine Vassal, a-t-elle contribué à la sélection des candidats LR avant de passer en Macro nie. Il lui faudra donc choisir dans la 6’ circonscription entre le candidat LR Didier Réagit, son vice -président au conseil départemental, et son probable adversaire, Lionel Royer-Perreaut, ex-LR rallié à Macron, qui a été son binôme aux départementales…
Dans les Alpes-Maritimes, on se prépare à un nouvel épisode de la guerre sans merci que se livrent depuis des années les deux poids lourds niçois, Eric Ciotti et Christian Estrosi. Sans doute le plus violent, Ciotti y jouant sa survie politique. « Ce sera l’heure de vérité », confesse-t-il Estrosi, lui, saisira l’occasion de tuer politiquement celui dont, tel Voldemort dans Harry Porter, il se refuse meme à prononcer le nom… Déjà, ce département est le seul où les investitures pour les législatives ont été gelées par LR. Président de la commission nationale d’investiture, Ciotti refuse de valider la candidature de Marine Brenier, députée sortante L,R jugée trop proche de son ennemi intime.
Les Marcheurs, eux, ont sorti le pop-corn. C’est en spectateurs qu’ils vont observer l’affrontement des deux droites en Paca, « Au moment des négociations sur les régionales, Thierry Solère [conseiller politique d’Emmanuel Macron] a dit à Falco et à Estrosi : “C’est vous qui choisirez les candidats aux législatives” », croit savoir un haut responsable LREM. Message reçu cinq sur cinq par les intéressés. Quitte à susciter des grincements de dents dans les rangs du mouvement présidentiel. « Ils vous disent : “J’ai un super-candidat! vous promettent la huitième merveille du monde, et ils vous posent sur la table une soupière achetée chez Ikea, soupire un haut gradé macroniste. Et naturellement ils ont un gros appétit. » Mais le même ajoute : « Face à Ciotti, mieux vaut faire confiance à Estrosi. » Et le trio jure qu’il ne touchera pas un cheveu des députés LREM sortants. Sauf, évidemment, s’ils ont commis un crime de lèse-majesté : Cedric Roussel à Nice et Cécile Muschotti à Toulon voient ainsi leur avenir sérieusement compromis pour avoir osé défier leurs maires respectifs aux dernières municipales.
À moins qu’Emmanuel Macron n’en décide autrement. Le chef de l’Etat relèvera les compteurs après la présidentielle, en mesurant l’impact des « rois de la Côte » sur ses scores dans la Région. L’extrême droite, puissante en Paca, risque aussi de compliquer la donne. Si Le Pen et Zemmour s’entendent, ils vont ramasser des cire os », s’inquiète déjà un élu marseillais. Les droites du Sud n’ont pas fini de se déchirer.

CHRISTINE OLLIVIER (A NICE ET MARSEILLE) ET SARAH PAILL0U

Journal du Dimanche – 3 avril 2022

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